Quauhtlemallan

Sunday, May 9, 2010

Adieux au Guatemala


Les semaines passent, la vie passe, et il est temps de retrouver la Belgique... qui commençait à nous manquer. Eh oui, on s'y sent quand-même chez nous!
Jeroen y a aterri il y a une semaine: il démarrait il y a quelques jours un nouveau boulot à l'asbl Bral, toujours dans sa spécialité: les politiques de mobilité à Bruxelles. Il était aussi bien impatient de retrouver son monde.
Quant à moi, j'avais envie de traîner un peu, de prendre mon temps, de profiter encore de la vie ici et de passer dire au revoir tranquillement à mes amis d'ici. Ca passe vite, plus qu'une semaine, je débarquerai à Bruxelles le lundi 17 mai.

J'avais bien besoin de cette phase de transition, de ces quelques jours de tranquilité et de douceur de vivre avant de replonger dans l'effervescence bruxelloise et les contraintes de notre vie occidentale. Je dors bien, je me ballade, je me baigne dans le magique Lac Atitlan, je passe beaucoup de temps avec mes amis paysans et surtout avec leurs enfants auxquels je me suis beaucoup attachée. Ca faisait longtemps que je ne m'étais plus sentie aussi relax!

Que dire de ces dernières semaines ? Comment raconter tout ça, on a vécu tellement de choses en si peu de temps! En quelques mots seulement, pas du tout exhaustifs: un atelier d'agroécologie qu'on a animés dans une communauté indigène paumée dans les montagnes de la région d'El Estor; quelques jours de repos dans la jungle et bien au chaud, au bord du Rio Dulce; un voyage beau et intense partagé avec papa et nos amis Péroline et JF pendant 2 semaines; une visite éclair dans le Petén et au Bélize, pour rencontrer une archéologue gringa au tempérament pas piqué des vers, qui étudie la façon dont la civilisation Maya gérait et conservait les forêts tout en y produisant son alimentation; et tellement d'autres visites passionantes aux quatre coins du pays, pour collecter la matière qui nous servira à construire notre film. Déjà presque 40 heures d'enregistrements, on va souffrir au montage!
Tout ça a été intense et fatigant, on aspire désormais tous les deux à un peu de calme et de stabilité. Bouger tout le temps, ça peut être excitant mais ça a aussi un côté frustrant, car on n'a pas le temps de lier de vraies relations avec les gens.

Ca n'empêche pas que certaines personnes nous aient vraiment touchées... Comme Narciso, forest gardener d'origine Maya yucatèque au Bélize, un homme doux et d'une gentillesse extrême, un sage qui connaît la nature comme sa poche et aime les gens. Ou encore les jeunes leaders de la communauté Lote 5, bons, honnêtes et dévoués à leur communauté, et qui nous ont accueillis comme des rois. On serait bien resté plus longtemps parmi eux dans les montagnes vierges, loind e tout! Et bien sûr, toute la famille Chojpen de Pachitulul, des grands-parents aux petits enfants, tous d'une gaieté et d'une simplicité extraordinaires et qui nous ont déjà adoptés.

Et puis juste encore quelques anecdotes drôles ou moins drôles...
- Comme ce spectacle proposé par des élèves ladinos (métisse) de secondaire lors de la Feria de Semillas de Cuilco sur les cultures du Guatemala, qui dépassait de loin les limites du ridicule, pour ne pas dire totalement raciste: déguisé en slips et pagnes blancs pour représenter les Mayas, ils ont carrément eu l'audace d'arracher sa tête à une poule en direct sur scène, juste pour le show ! Et bien sûr, de leur côté les exemplaires ladinos étaient représentés en train de danser la valse en robe de soirée chic. De notre côté on en était morts de honte pour eux, je me demande ce qu'en a pensé le public indigène! C'est parfois difficile de lire sur leurs visages...
- Comme ce chauffeur de bus entre El Estor et Panzos, un vrai hijo de puta qui ne trouvait pas mieux que de draguer une fille assise DERRIERE lui, d'à peine 15 ans, pendant qu'il conduisait. Un vrai gros dégueulasse, qui non seulement regradait à peine la route, mais n'arrêtait pas de lui caresser les jambes. le pire, c'était encore que la jeune fille ne lui opposait rien d'autre qu'un petit rire gêné et se laissait à moitié faire... Finalement, il a quand-même laissé tombé mais a continué le chemin en lisant son journal sur le volant!
- Comme ces gardes armés jusqu'au dent qu'on voit partout, absolument partout, tellement partout qu'on finit par ne plus les voir... N'empêche qu'en voir un qui surveille l'entrée du resto végétarien à Guate, ça fait quand-même bizarre. Vous vous imaginez ça au Dolma à Bruxelles ?
- Comme ce richissime homme d'affaire d'origine allemande (ou autrichienne, je ne sais plus)dont l'hélicoptère s'est écrasé il y a quelques mois et qui a eu droit à des pages et des pages d'hommages et de condoléances dans le principal journal du pays pendant plus d'une semaine. Bien entendu ceci n'arrive jamais pour les dizaines ou les centaines ou les milliers de chaufeurs de bus qui se font assassiner, enfants qui crèvent de faim à cause de la sécheresse dans le corredor seco, vistimes du narcotrafic ou migrants qui perdent la vie sur le chemin vers l'El Dorado américain... De toutes façons, ceux-là on les voit à peine dans les journaux. Comme à peu près partout en Amérique Latine, à la télé tout le monde ou presque est blanc et blond, un parfait reflet de la population latino!
- Comme "Mi familia progresa" (ma famille progresse), un programme d'allocations familiales super caritatif et électoraliste mis sur pied par Sandra la femme du président Colom (qui est d'ailleurs plus renommée que lui-même), et qui entraîne plein de dérives du genre des pères de famille qui obligent leur femme à avoir plus d'enfants afin de toucher plus d'allocations familiales. Les ONG locales l'ont rebaptisé "Mi familia pobreza" (ma famille pauvreté), maintenant tout le monde l'appelle comme ça!
- Comme les deux premiers tremblements de terre de notre vie, survenus le même jour à quelques heures d'intervalle, et qu'on a trouvé plutôt rigolots. Surtout le deuxième car on était dans le jardin en lieu sûr, et la terre sest mise à bouger suffisamment pour qu'on soit secoués et qu'on voie tout bouger autour de nous, mais pas assez pour faire des dégâts. Une expérience assez drôle à vivre tant qu'elle ne se stue pas trop haut sur l'échelle de Richter!
- Et enfin, les péripéties habituelles des voyages en bus populaires ("camionetas")... La seule fois ou Péro, JF et mon père ont voulu en prendre un au cours du voyage, on a eu droit à la totale: l'ayudante (homme à tout faire) du chauffeur qui, en pleine dispute avec un type au bord de la route, a sorti sa machette (j'ai failli me réfugier en dessous du siège, je les voyais déjà sorti leurs revolvers, mais finalement il ne s'est rien passé); le bus nous a déposé sans ménagement en plein milieu d'une bretelle d'autoroute, avec tous nos sacs-à-dos... on n'était pas trop à l'aise; et enfin, le dernier bus qui nous ramenait vers le centre de Palin, bloqué par une longue file de camion, n'a rien trouvé de mieux que de prendre la bande de gauche à contresens pour nous faire arriver plus vite. Enfin, on est quand-même arrivés sains et saufs.
Ca, ca fait partie des petits détails de la vie guatémaltèque qui nous font aimer la vie en Europe!

Bref, encore un voyage très riche en émotions... Je me demande ce que ça va me faire de rentrer en Europe après tout ça, et reprendre mon petit train-train. Mais au fond, je pense bien qu'on va continuer à vivre baignés dans le Guatemala pour un bout de temps, vu le travail qui nous attend encore avec le film.

Le produit fini, ce sera une grande surprise, nous mêmes on ne sait pas encore trop ce que ça va donner! Parfois, on a l'impression qu'il nous manque beaucoup de choses qu'on aurait voulu montrer dans ce film... En même temps, on a aussi beaucoup (trop) de choses passionnantes à montrer. Trop ou pas assez ? Il va falloir trouver l'équilibre entre tout ça et faire en sorte que ça ressemble à un tout. Suspense...

J'espère vraiment qu'on arrive à faire quelque chose de bon et d'utile pour les gens au Guatemala et ailleurs avec ce documentaire. Plus je passe du temps ici, et plus l'inégalité énorme entre ma vie et celle de la plupart des gens ici, entre mes opportunités et les leurs, entre ma liberté et leur non-liberté, me choque et me fait sentir mal à l'aise. Ici je serai toujours la riche gringa... même si en Europe je suis plutôt pas très riche et carrément anticapitaliste! Et tout ça, en sachant que l'Occident est quand-même largement responsable de la misère du reste du monde, et qu'on est en train de sacager leurs terres (avec la déforestation, les mines, barrages hydro-électriques, puits pétrolier, monocultures...) juste pour nous permettre à nous de vivre dans le luxe. Qui en bénéficie ici ? Les quelques mêmes qui accumulent de la richesse sur le dos des autres depuis des siècles. Je n'ai pas envie de contribuer à ce pillage.

Voilà un aperçu de mes impressions à quelques jours du départ. On en discute autour d'une bière la semaine prochaine ?